Un jour, un ami, d’origine Tchèque, de passage à Bruxelles, avec qui je parlais de l’uniformisation galopante du monde me raconta ceci : « Alors que j’attendais l’embarquement dans mon avion à destination de Bruxelles, je vis une affiche où était écrit : « Vous quittez Prague, cœur de l’Europe… ». Arrivé à Bruxelles, j’aperçus sur le mur d’un des couloirs de l’aéroport une autre affiche où était écrit : « Bienvenus à Bruxelles, cœur de l’Europe »… Les deux affiches étaient écrites en anglais…
Le monde aujourd’hui, l’Europe, mais aussi notre quotidien semble comme frappé d’une terrible maladie. Nous ne lui connaissons pas de nom. On pourrait l’appeler la maladie du même. Certains voudraient que la diversité des sociétés humaines, des cultures, des croyances soient éradiquée au profit d’un monde où tout deviendrait marchandise, chose, mode… D’un archipel de villages, la terre est, en effet, devenue un village mondial unique. Il est inutile de regretter cet état de fait. D’autant que la diversité, sous d’autres formes, suivant d’autres dynamiques, malgré toutes les tentatives d’uniformisation demeure, et demeurera. Elle est un fait humain et nul projet aussi fou soit-il ne pourra jamais en finir avec elle à moins d’en finir avec l’humain.
Dans le Coran (49 ; 13), Dieu dit : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez…» De ce verset, bien connu, on peut tirer trois conséquences immédiates :
- La diversité, comme nous l’avons dit plus haut, est un fait humain, un des fondements constitutifs de l’humanité. Pas d’humanité sans cette diversité.
- Deuxième conséquence : la diversité culturelle est une chance donnée aux hommes. Elle permet à chacun, et au groupe humain auquel il appartient, de se découvrir par la découverte des autres. On ne se connaît qu’à travers le regard de l’autre. Le Prophète (saws) ne dit-il pas : « Le croyant est un miroir pour son frère » ?
- Troisième conséquence : tout projet qui vise à réduire les différences culturelles ne peut qu’aboutir à une réduction de l’humain puisqu’il supposerait la fin de l’entreconnaisance, donc la fin de cette connaissance de soi que donne la rencontre avec l’autre.
L’affirmation de la diversité et de son sens est donc au cœur du Message coranique. Mais la seule affirmation de cette diversité, sans compléments éthiques, ne suffit pas. Hors du discours coranique, dans certains propos démagogiques, voire racistes, on voit ce principe affirmé mais pour mieux dresser des barrières entre les hommes, des obstacles supposés insurmontables, des échelles de valeurs, des critères de supériorité…
L’affirmation de la diversité a besoin d’une éthique universaliste.
Le premier principe qui doit être posé est celui de l’égalité des êtres humains. Le Prophète, paix et salut de Dieu sur lui (psdsl), a dit à ce sujet : « Les hommes sont égaux comme les dents d’un peigne » et dans un autre propos : « Dieu m’a inspiré ceci: « Soyez modestes les uns avec les autres afin qu’aucun de vous ne transgresse le droit d’autrui et ne piétine à son détriment toute morale et toute justice ». Ce fondement de l’humanité qu’est l’égalité entre les hommes, le Prophète (psdsl) l’a réaffirmé lors de son discours d’adieu : « Ô gens votre Dieu est Un et votre ancêtre est un. L’Arabe n’a aucun mérite sur le non Arabe, ni le blanc sur le noir, sauf par la piété… »
Le deuxième principe éthique qui doit être posé pour orienter notre relation à la diversité dans le sens du bien c’est la justice.
Dieu dit : « Oh ! Vous qui croyez. Pratiquez avec constance la justice en témoignage de fidélité envers Dieu, et même à votre détriment ou au détriment de vos pères et mères et vos proches, qu’il s’agisse d’un riche ou d’un pauvre, car Dieu a la priorité sur les deux. Ne suivez pas les passions au détriment de l’équité ; mais si vous louvoyez ou si vous vous détournez sachez que Dieu est bien informé de ce que vous faites. » (5 :135) Et d’après un hadith quodsi : « Oh mes serviteurs j’ai fait de l’injustice un péché pour Moi-même, comme pour vous dans vos rapports réciproques. Ne soyez plus injustes les uns envers les autres. »
Le troisième principe éthique régulateur est la liberté. On se souvient de la fameuse question d’Omar Ibn Al-Khattab : « Quand donc avez-vous décrété que les hommes sont esclaves, alors que leurs mères les ont mis au monde libres ? ». Sans l’affirmation inlassable de cette liberté humaine première, sans ce rappel, encadré par des dispositifs éducatifs et légaux, l’humanité glisse inévitablement vers la tyrannie, l’oppression, la domination de quelques-uns sur le grand nombre. La liberté est le terreau qui permet à l’humain d’exister à part entière, elle est ce qui donne, notamment, la saveur et la vérité aux actes d’adoration et la beauté aux relations avec les autres, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent.
Le quatrième principe éthique est la solidarité. L’Islam nous invite en effet à témoigner de notre solidarité à l’égard de nos frères humains où qu’ils se trouvent. « Quiconque se préoccupe du besoin de son frère, Dieu se préoccupera de son besoin ; quiconque dissipe, pour un musulman, un seul souci, Dieu dissipera, pour lui, un souci parmi les soucis du Jour de la résurrection ; quiconque vient en aide à un homme en difficulté, Dieu le mettra à l’aise dans cette vie et dans l’autre. » (Bukhari et Muslim) Ou encore : « Ne croit pas en Moi celui qui passe la nuit rassasié, tandis que son voisin, à côté de lui et à son insu, souffre de la faim. » (Bukhari)
La diversité des cultures est donc constitutive de l’humanité. Mais pour que notre relation à cette diversité soit orientée vers le bien commun, les hommes doivent être porteurs, promoteurs et défenseurs de principes éthiques, dont, notamment : l’égalité entre les hommes, la justice, la liberté, la solidarité. Sans ces principes éthiques régulateurs, la diversité peut devenir le terreau du ressentiment, de la haine, des conflits et de la guerre.
C’était la situation de la ville de Médine avant l’arrivée du Prophète (psdsl) « Un peuple déchiré par l’inimitié et le mal » avaient dit les premiers musulmans médinois pour décrire leur ville au Prophète. Et c’était bien le cas. Médine vivait sous le règne d’une animosité chronique entre ses différentes composantes culturelles. Des batailles, des épisodes violents rythmaient la vie de cette oasis située à 400 km au nord de la Mecque. Quelles en étaient les causes ? La recherche du pouvoir, sans nul doute, le tout sur fond de guerre tribale.
Quand, le lundi 27 septembre 622, le Prophète (psdsl) arrive à Médine, il rentre dans une ville que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de multiculturelle (et qui le restera). Deux tribus arabes, les Aws et les Khazraj, trois tribus juives, des esclaves originaires d’Afrique, de Perse, de la Péninsule arabique, peuplent la ville. On y côtoie des chrétiens, des juifs, des musulmans (les premiers convertis de Médine et les nouveaux venus, les exilés de la Mecque, arrivés peu avant le Prophète), des polythéistes et même des athées. Or comme nous l’avons dit plus haut, l’harmonie ne règne pas dans la ville. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, le Prophète (psdsl) a été appelé à l’aide par les premiers musulmans de Médine, afin qu’il rétablisse une paix sociale durable à Médine. Fatigués par les dissensions, séduits par l’idée que seul un homme extérieur à la ville, donc neutre a priori, pourrait rétablir la paix, encouragés par l’ascendance médinoise du Prophète (psdsl), par sa mère, et son excellente réputation morale, les différentes forces en présence acceptèrent la gouvernance du Prophète (psdsl). Certes cette acceptation n’est pas unanime et est parfois, purement formelle mais le principe est accepté.
Quelle va être la première décision politique du Prophète (psdsl) ? Va-t-il exiger de tous les habitants la conversion à l’Islam ? Va-t-il expulser les non-musulmans ? Ou les non-arabes ? Rien de tout ça. Il va faire rédiger une constitution, un texte dont le but est de fixer un contrat social entre toutes les composantes de cette société multiculturelle. Il va réunir cette diversité non sous la bannière de l’Islam mais autour d’un texte, d’une charte dont le principe de base est le respect mutuel quelques soient les croyances, les univers de référence. Certes, ce texte ne suffira pas. Les questions de pouvoir ressurgiront et les complots, et les oppositions. Mais cela montre une chose : c’est que l’harmonie sociale, l’inter culturalité positive n’est possible que dans le respect, c’est-à-dire l’acceptation et l’intégration de principe éthique universel et supérieur auxquels nul homme ne peut se soustraire.
Mais cela est affaire d’éducation, de mutation éthique et le lieu de ce travail, de cet engagement est le cœur de l’homme.